Les Talibans sont aux portes de Kaboul. Ahmad Massoud, le fils du commandant Massoud (assassiné par al-Qaïda en septembre 2001), est à la tête des combattants de la liberté de la région du Panchir. Dans une lettre adressée à Bernard-Henri Lévy et publiée par le JDD, il supplie le soutien de la France afin de bloquer la terrible offensive vengeresse en cours suite à l’abandon du pays par les Américains.
En ces heures dramatiques pour mon pays, l’Afghanistan, dont vous êtes depuis quarante ans le défenseur infatigable, je m’adresse à vous avec toute la confiance que nous avons en vous, mon père hier, mes commandants et moi aujourd’hui. Kunduz, Herat, Kandahar sont tombées aux mains criminelles des talibans et Kaboul, la capitale, est sous leur menace directe, avec le départ des Américains et, bientôt, des derniers diplomates étrangers.
Je vous sais plus que jamais à nos côtés et je vous conjure d’intervenir à Paris qui, grâce à vous, honora la mémoire de mon père, au printemps dernier, en lui dédiant un lieu à son nom au bas de l’avenue des Champs-Elysées. Je connais vos idéaux, cher Bernard-Henri Lévy. Je vous ai vu à l’œuvre, à nos côtés, il y a quelques mois encore, lors de votre récent reportage sur l’Afghanistan libre. Et je vous demande d’être, une fois de plus, notre interprète auprès des autorités et de la population française.
Il y a quelques jours, je citais à mes moudjahidines réunis au mausolée d’Ahmed Shah Massoud, dans notre vallée du Panshir, la phrase célèbre du Premier ministre Winston Churchill, quand l’Angleterre, après la chute de la France en juin 1940, resta seule face au nazisme. Vous aviez offert à mon père les Mémoires de guerre du général de Gaulle. La phrase y est inscrite en lettres de feu. Cette phrase terrible, qui a galvanisé le peuple anglais, c’est : « Je n’ai à vous offrir que du sang et des larmes ». Eh bien cette phrase est l’âme de notre résistance. Et je voudrais que vous le disiez, pour nous, au président Macron, à madame Hidalgo, aux Parisiens.
Dites-leur, s’il vous plaît, ce qui arriverait si Kaboul tombait demain : une vengeance terrible, les femmes de nouveau encagées, la servitude partout. Dites-leur, s’il vous plaît, que les talibans ne sont pas le problème du seul peuple afghan : l’Afghanistan, sous leur coupe, serait de nouveau le berceau du terrorisme islamique, les attentats contre vos pays démocratiques s’y fomenteraient comme par le passé. Dites-leur que ma région, le Panshir, restera, quoi qu’il arrive, le dernier bastion de la liberté afghane et dites-leur que notre liberté est, ici, comme en Irak avec vos amis kurdes, le rempart de vos libertés et de votre sécurité dans les belles rues de Paris.
Mais dites-leur, aussi, que le Panshir se prépare, pour la troisième fois en quarante ans, à subir les assauts des talibans et à les repousser – et qu’à la veille de cet assaut la situation est la suivante. Notre moral est intact. Nous savons d’expérience ce qui nous attend. Nous ne manquons ni d’hommes ni de vaillance. Et nous sommes résolus à nous battre jusqu’à notre dernier souffle. Mais nous ne pouvons pas mener ce combat seuls et nous manquons cruellement d’armes, de munitions, de ravitaillement.
Nos deux peuples, français et afghan, ont une longue histoire commune, faite d’idéaux partagés et de combats communs. Vos médecins, vos écrivains, ont laissé, vous l’avez constaté, plus d’une fois, de vos propres yeux, une trace indestructible dans l’esprit des miens. Ne nous abandonnez pas. Dites, je vous prie, au président Macron qui m’a fait l’honneur de me recevoir lors de ma visite à Paris, au mois d’avril dernier, que la France est notre dernier recours, le seul espoir qui nous reste.